ART MODERNE
LES PEINTRES & LES ARTS DÉCORATIFS
Au fil du 20e siècle, les artistes modernes ont progressivement redéfini leur rapport aux arts décoratifs, autrefois relégués à une place secondaire. Dès le début du siècle, certains peintres, notamment les Fauves, s’aventurèrent sur ce terrain à l’initiative d’Ambroise Vollard. Ce qui sera appelé l’École d’Asnières réunira, autour du céramiste André Metthey, les meilleurs artistes du moment, à l’instar d’André Derain, Georges Rouault, Maurice de Vlaminck, Henri Matisse, Louis Valtat, Kees van Dongen, Achille-Émile Othon Friesz, ou encore Jean Puy. Le Salon d’automne de 1907 marquera l’histoire de la céramique fauve. Dans les années 1920, c’est Raoul Dufy qui s’initiera à la céramique aux côtés de Josep Llorens Artigas, célèbre maître céramiste catalan, avec qui il réalisera de nombreuses pièces jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, c’est véritablement après 1945 que l’intérêt pour la céramique et, plus largement, pour les arts décoratifs connaîtra un tournant décisif. Au sortir de la guerre, les artistes ressentirent un besoin profond de renouer avec la matière. Le matériau terre développa alors un caractère existentiel, puisque par son utilisation l’homme retrouva un sens à ses actes et une place dans le monde. Aussi, des artistes-artisans s’implantèrent sur d’anciens sites historiquement dédiés à la céramique, notamment dans le Beauvaisis, en Alsace, dans le Sud ou encore en Puisaye et dans le Haut-Berry. On note l’installation en 1942 d’André Baud et de Suzanne Ramié à Vallauris ; Jean Derval s’installa quant à lui à Saint-Amand-en-Puisaye en 1945 pour migrer un peu plus tard à Vallauris ; tandis que le village de La Borne, un autre lieu du grès, connut une nouvelle ère avec l’arrivée en vagues successives de jeunes artistes, parmi lesquels figuraient Jean et Jacqueline Lerat. Dans ce contexte, Pablo Picasso jouera un rôle décisif. Dès 1946, il s’installe à Vallauris, ancien centre de production céramique. Très vite, il dépasse l’approche ornementale pour transformer la céramique en un champ d’expérimentation plastique à part entière. Il entraînera dans son sillage d’autres artistes, séduits eux aussi par la liberté créative offerte par le matériau terre, à l’image de Matisse, Miró, Chagall, Brauner, etc. Les années 1950 marqueront ainsi l’arrivée massive des peintres modernes dans les ateliers de céramique. Ce renouveau dépassera largement le seul domaine de la céramique. Il touchera aussi le vitrail, l'orfèvrerie, la tapisserie, les arts du textile. À travers ces disciplines, les grands noms de l’art moderne trouveront un moyen de faire entrer l’art dans la vie quotidienne. Loin du cadre muséal, ces œuvres investiront l’espace public, et l’habitat. Fernand Léger, grand défenseur d’un art accessible à tous, incarnera cette ambition. Avec l’aide du céramiste Roland Brice, il transposera ses motifs caractéristiques dans la céramique monumentale. Sa vision d’un art dit « mural » et accessible trouvera aussi un écho dans la tapisserie. Les grandes manufactures françaises, comme les Gobelins ou Aubusson, entamèrent en effet une modernisation en profondeur en faisant appel à des artistes de renom : Sonia Delaunay, Le Corbusier, Alexander Calder, Serge Poliakoff… Tous concevront des cartons de tapisserie qui redonneront à cet art ancestral une puissance d’expression contemporaine, fondée sur la matière et la surface. Parmi les grandes figures ayant contribué à cette mutation, il faut souligner le rôle pionnier de Marie Cuttoli. À travers sa galerie Myrbor, elle joua un rôle d’éditrice audacieuse, en faisant traduire en tapis ou en tapisserie les œuvres de Picasso, Matisse, Rouault, Le Corbusier, Lurçat ou encore Léger. Elle permit ainsi aux arts décoratifs de se hisser au niveau des avant-gardes. Cette dynamique touchera également le domaine de l’art sacré. Dans les années 1950, sous l’impulsion des Pères Couturier et Régamey, un vaste mouvement de rénovation artistique investira les lieux de culte. Les artistes modernes seront sollicités pour réinventer l’art religieux : citons Matisse pour la chapelle de Vence, Le Corbusier pour la chapelle de Ronchamp, ou encore Fernand Léger, Georges Rouault et Jean Bazaine pour divers vitraux et mosaïques. Ainsi, loin d’être une simple parenthèse d’expérimentations plastiques, l’investissement des peintres modernes dans les arts décoratifs constitue une part essentielle de l’histoire de l’art du 20e siècle. C’est à travers ces matériaux et techniques, souvent ancrés dans des traditions anciennes, que les artistes modernes trouvèrent un moyen de faire entrer l’art dans le quotidien.




