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COLLECTION JEAN ET VIOLET HENSON

Jean et Violet Henson – Collection Henson – Coutau-Bégarie et Associés – Emmanuel Eyraud Expert
COUTAU–BÉGARIE
& ASSOCIÉS
HÔTEL DROUOT
PARIS
30 NOVEMBRE
2023
RÉSULTAT 
7.020.000 €

JEAN ET VIOLET HENSON
UN COUPLE D'EXCEPTION, UNE COLLECTION D'EXCEPTION

L’aventure de l’art au XXe siècle fut marquée par des artistes que l’histoire retiendra à tout jamais, de grands marchands d’art qui ont également laissé une empreinte indélébile durant cette période et enfin, des collectionneurs audacieux, singuliers et impliqués qui furent les maillons indispensables à l’évolution et l’existence même de ce moment unique qualifié d’ère moderne. Le tournant du XIXe au XXe siècle vit des écrivains, des poètes, des compositeurs, des peintres et des sculpteurs pétris d’une immense culture, d’une sensibilité nouvelle, d’une virtuosité avérée et d’un humanisme assumé. Aussi, ils nous livrèrent des œuvres tendant au sublime, celles qui encore aujourd’hui nous ébranlent et nous captivent. L’entre-deux-guerres fut peuplé d’artistes de premier plan dont l’érudition n’avait rien à envier à celle de leurs aînés mais pour qui l’histoire s’était dressée devant eux avec la Grande Guerre et sa cohorte d’horreurs, l’accélération du temps due aux avancées stupéfiantes des sciences et des techniques, les travaux et les publications de Freud conduisant aux grandes découvertes sur les mécanismes de la psyché. Leurs créations devaient, par conséquent, traduire cette période de grands troubles, tant dans les corps que pour les esprits, et s’emplir de ces bouleversements que les hommes assimilaient avec difficulté. De même, les collectionneurs ou grands amateurs d’art des années 1920 et 1930 étaient dotés de profils bien différents de ceux qui s’étaient enivrés de modernité au début du XXe siècle. Ceux-là avaient laissé la place à des hommes et des femmes dont les vies s’apparentaient à des œuvres d’art. Leurs existences étaient mêlées de profondeur et de frivolité, d’action et d’oisiveté, de courage et de lâcheté, de lumière et d’obscurité  ; en parallèle à ces tendances paradoxales, le savoir, l’appétence pour la chose moderne et, aussi, la mélancolie étaient palpables chez chacun, le sentiment instinctif d’une future plongée dans l’abîme était manifeste. Jean et Violet Henson, en véritables personnages de roman qu’ils furent, au propre comme au figuré, étaient représentatifs de ce monde de gens qui gravitaient autour de l’art et des artistes et qui formaient cette communauté de collectionneurs sans en être réellement. Le parcours personnel de Jean et celui de Violet, leurs origines bien différentes, leur statut, leurs nombreux voyages, leur capacité personnelle à l’exploration et à la curiosité, leur culture cosmopolite les avaient conduits tout naturellement à faire des rencontres essentielles  ; de grands artistes européens ou venus d’Amérique faisaient partie de leur cercle restreint. Jean-Michel Frank était de ceux-là, une amitié sincère et profonde le liait à Jean Henson qui le considérait comme le grand maître de la décoration de l’époque et qui était à ses yeux, celui, à travers la conception de ses intérieurs, reflétant au mieux la sensibilité d’une période pleine de contradictions et le meilleur défenseur et promoteur de cette idée du luxe bien éloignée de celle habituellement admise.​ Pour les amoureux d’architecture vernaculaire que furent les Henson, les matériaux qu’utilisait Frank dans ses aménagements étaient en parfaite correspondance avec leur conception de l’idéal. Les proportions dont le décorateur usait pour chacun de ses meubles, les formes, des lampes et des objets qu’il retenait, formaient un tout avec le choix de l’espace de vie de Jean et Violet. C’est ainsi que la villa des Henson fut parée durant les années 1930 d’un ensemble exceptionnel de créations de Jean-Michel Frank et d’œuvres d’Alberto Giacometti ou encore de Salvador Dalí que le décorateur avait sélectionnées pour le couple et qui firent probablement l’objet de présents de la part de Frank. À amitié et endroit uniques, pièces emblématiques et rares; aussi, les œuvres de Frank, de Giacometti et de Dalí, qui habilleront délicieusement l’intérieur de la villa des Henson tout au long de leurs vies, sont toutes des créations parmi les plus significatives ; la Lampe Égyptienne le disputant au Vase Lotus, la Lampe Dalí à L’Oiseau, etc. Par bonheur, ces pièces ont pu parvenir ensemble jusqu’à nous ; leur nature, leur histoire, leur indissociabilité jusqu’à aujourd’hui vont nous permettre de vivre un moment unique grâce à ce couple d’exception que fut le couple Henson et à la dispersion d’une collection d’exception que surent préserver Jean et Violet.

Alberto GIACOMETTI Oiseau Albatros collection jean violet henson le modèle conçu vers 1937 sculpture plaster plâtre jean-michel frank emmanuel eyraud expert

ALBERTO GIACOMETTI ET LES ARTS DÉCORATIFS :
LA COLLABORATION AVEC JEAN–MICHEL FRANK

Célébré parmi les artistes les plus importants du XXe siècle, Alberto Giacometti, peintre et sculpteur d’origine suisse, marqua irréversiblement le monde de l’art par ses recherches plastiques axées sur la condition humaine, la place et l’image de l’homme dans un monde (ancien et révolu) en pleine déconstruction – dont découlent ses sculptures filiformes si caractéristiques.

En véritable artiste pluridisciplinaire, son œuvre connut de nombreuses évolutions ; il expérimenta au sein de différents mouvements artistiques, comme le cubisme ou le surréalisme, et s’essaya, en parallèle de la sculpture, à la création d’objets décoratifs, fruits de sa légendaire collaboration avec le décorateur parisien Jean-Michel Frank (1895-1941). Le travail de Giacometti dans le domaine des arts décoratifs est indissociable de cette alliance fructueuse établie entre 1930 et 1939 dont sont issues certaines de ses créations les plus célèbres et les plus prisées par les collectionneurs.

 

Arrivé à Paris en janvier 1922 pour suivre l’enseignement d’Antoine Bourdelle (1861- 1929), Alberto Giacometti, encore inconnu, exposa ses premières œuvres dans quelques salons de l’époque, ainsi qu’à la Galerie Jeanne Bucher (1872-1946) en 1929. Le succès de cette exposition marquera un tournant décisif dans la carrière du jeune sculpteur qui, rencontrant alors les personnalités les plus importantes du milieu artistique parisien, sortira à tout jamais de son anonymat. Par l’intermédiaire du peintre André Masson (1896- 1987), il obtint sa première commande auprès du banquier Pierre David-Weill, pour lequel il créa ses premiers objets décoratifs. Mais, cet évènement permit avant tout la rencontre déterminante entre Alberto Giacometti et Jean-Michel Frank ; possiblement par l’entremise de Man Ray (1890-1976) ou des Noailles, qui avaient fait l’acquisition de l’une des deux œuvres présentées chez Jeanne Bucher (1). Ainsi s’inaugura une période de collaboration – et d’amitié – unique entre les deux créateurs, débutée vers 1930, lorsque Jean-Michel Frank devint directeur artistique de Chanaux & Cie. Réputé pour ses intérieurs traités comme un manifeste, caractérisés par leur aspect luxueux mais épuré, Frank fit régulièrement appel aux artistes pour la création de mobilier et d’objets d’art, à l’instar de Christian Bérard (1902-1949) ou Salvador Dalí (1904-1989). Mais, Alberto Giacometti fut, parmi les artistes « partenaires », celui qui amplifia et compléta le mieux l’esthétique de Frank – cet « étrange luxe du rien » – à tel point que chacune des réalisations du décorateur présentait presque par automatisme l’une de ses créations. Giacometti créa alors de nombreux objets dits « utilitaires » pour Frank, parmi lesquels les luminaires occupent une place très importante. Inspiré par les arts anciens, il imagina des objets aux formes évocatrices des civilisations passées, toutefois traitées à l’épure, la Lampe Égyptienne et le Vase Lotus en sont les plus parfaites illustrations.

 

Approchant ses créations tel un sculpteur, il utilisa sans surprise des matériaux comme le plâtre, la terre cuite et le bronze pour leur donner vie. L’aspect irrégulier de leur modelé témoigne de cette proximité, laquelle crédite les œuvres « décoratives » de l’artiste comme des créations d’art majeur – pour Alberto Giacometti il n’y avait pas de différence entre ce qu’il appelait une sculpture et ce qui était un objet (2). 

Ainsi, bien que la création dans le domaine des arts appliqués lui permît de gagner sa vie à un moment essentiel dans son parcours de sculpteur, le créateur s’impliqua totalement dans sa collaboration avec le décorateur – ce qui lui valut d’ailleurs d’être rejeté par André Breton (1896-1966) au moment où il expérimentait avec le groupe des surréalistes.

Les images de ses créations furent diffusées à travers le monde par le biais des photographies de presse, de mode et connurent un grand succès. Néanmoins, cette production avant-gardiste fut brutalement arrêtée en 1939 par les évènements de la Seconde Guerre mondiale, auxquels s’ajouta la disparition inattendue de Jean-Michel Frank deux années plus tard. Celle-ci reprendra cependant dès 1945, avec seulement quelques modèles, grâce à Diego Giacometti (1902-1985) qui avait réussi à sauver les moules des objets imaginés pour Frank et par l’intermédiaire de Jacques Adnet (1900-1984) & la Compagnie des Arts Français durant plusieurs années, puis elle sera reprise par Diego lui-même et prendra définitivement fin lors de sa disparition. Jean Henson, lié par une profonde amitié à Jean-Michel Frank, et son épouse Violet furent très sensibles à l’art du décorateur et aux créations d’Alberto Giacometti, de Salvador Dalí ou encore de Christian Bérard. Plus encore, leur univers et leur style de vie cosmopolite étaient en parfaite adéquation avec le parfum et l’esprit qui émanaient des créations de tous ces artistes ; ils furent de ceux, les pionniers, peu nombreux, qui purent vivre entourés de ces œuvres au moment même où elles virent le jour dans les années 1930.

(1) Angela Schneider (et all.) – Alberto Giacometti : Sculpture – Paintings – Drawings – Éditions Prestel, Munich/New York, 1994, p. 15-16.

(2) Pierre-Emmanuel Martin-Vivier – Jean-Michel Frank : l’étrange luxe du rien – Éditions Norma, Paris, 2006, p. 343. Voir citaion Alberto Giacometti.

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